Dès le 28 février dernier, l’AMF avait alerté sur la nécessité d’intégrer le risque d’épidémie dans la section « facteurs de risques » des Documents Universels d’Enregistrement. Au fil de l’eau, le risque d’épidémie puis le risque de pandémie ont bien été cités dans la quasi-totalité des URD 2019 publiés à ce jour. Mais faute de temps, ils n’ont pas été évalués selon la même approche méthodologique mise en œuvre pour les autres risques. Que faire pour l’année fiscale en cours ?
Quelle intégration du risque de pandémie ?
Dans un article publié en avril 2019 “La controverse du risque extra-financier“, nous évoquions le fait que les risques extra-financiers faisaient l’objet d’acceptions fluctuantes. Avec la crise du Covid-19, il serait honnête de préciser qu’avec les méthodologies les plus robustes en matière d’analyse de matérialité ou des risques extra-financiers et financiers (URD oblige), peu d’entreprises avaient apprécié à sa juste valeur le risque d’épidémie, et que dire du risque de pandémie.
RSE DATANEWS, qui s’est doté d’un outil de benchmark des rapports RSE, révélait dans un article publié le 7 avril dernier, que « ce risque épidémique était déjà anticipé dans la rubrique “facteurs de risque” de 53 des 326 documents de l’exercice 2018 de sociétés cotées ou non cotées […] répertoriés. Sous forme d’un avertissement d’impact sur leurs résultats ».
L’article, très instructif, de décrire les modalités déclaratives choisies : « cité comme risque identifié mais non couvert par les polices d’assurance de l’entreprise… ou encore identifié mais jugé faible… aussi mentionné sous forme d’impact direct sur les opérations de l’entreprise… parfois évalué avec des outils ou méthodologies d’analyse quantitative… ou inclus dans des actions de prévention pour assurer les approvisionnements ».
Cependant, il y a une différence de taille entre épidémie et pandémie ; qui est une épidémie mondiale. « Le Covid-19 peut être qualifié de pandémie en raison de la hausse rapide du nombre de cas en dehors de la Chine au cours de ces 2 dernières semaines et du nombre croissant de pays touchés » indiquait ainsi l’OMS dans son communiqué du 12 mars dernier.
Si l’on se réfère aux matrices de matérialité ou aux analyses des risques déjà réalisées, l’enjeu ou le risque de santé est omniprésent, voire celui de la santé publique pour quelques entreprises. En fait, le thème de la santé est le plus souvent complété de celui de la sécurité, quand on n’y accole pas celui du bien-être.
Le risque de pandémie peut-il être inclus demain dans le triptyque santé – sécurité – bien-être ?
Nos collègues du pôle HSE Réglementaire ont organisé un groupe de travail avec quelques clients afin d’intégrer le Covid-19 dans l’évaluation des risques sous l’angle du document unique.
On y voit que l’exposition au danger Covid-19 génère potentiellement un risque qui dépasse les seules limites de l’infection/contamination, avec le stress, les RPS, les TMS, voire les risques physiques liés à la sédentarisation : risques cardiovasculaires, sur le métabolisme, sur l’appareil locomoteur.
A notre sens, le risque de pandémie pourrait donc être intégré à cette thématique en précisant dans le corps du texte ce que l’entreprise a mis en œuvre pour éviter ce risque, tant pour ses locaux, les déplacements que pour le télétravail.
Management des risques et continuité d’activité
En analysant plusieurs matrices de matérialité, on trouve assez rarement l’enjeu « Management des risques et continuité d’activité ». Or cet enjeu au sens de l’analyse de matérialité, crée selon nous un véritable trait d’union avec la notion même de risque tel qu’exigé par la DPEF. D’après notre livre blanc sur l’analyse de matérialité : « la matérialité recouvre tous les aspects économiques, environnementaux, sociaux et sociétaux qui sont susceptibles d’impacter la stratégie, le modèle d’affaire de l’entreprise ainsi que sa performance durable et d’impacter, de manière substantielle, ses parties prenantes, au premier rang desquelles les investisseurs, ainsi que sur l’appréciation qu’elles portent sur l’entreprise ».
La crise sanitaire que nous subissons du fait de la pandémie, revêt les aspects évoqués dans la définition consensuelle que nous avions proposé. De plus, elle impacte la performance de l’entreprise, tant en termes de disponibilité des collaborateurs que d’approvisionnement et de production.
Combien d’entreprises avaient à ce jour élaboré un Plan de continuité d’activité (PCA) ? Ce PCA avait-il anticipé les graves perturbations générées par cette pandémie ? Difficile d’imaginer qui aurait pu prévoir un confinement de plusieurs semaines, avec un arrêt des chaînes de production et d’approvisionnement simultanément au niveau mondial. Si la mise à jour du PCA induit une mise à jour du Document Unique d’Évaluation des Risques, il va bien évidemment au-delà : cellule de crise, identification des perturbations possibles, des postes-clés au maintien de l’activité, réorganisation de l’activité et mesures d’hygiène, santé, sécurité et de prévention des risques à mettre en œuvre.
Selon nous, cet enjeu « management des risques et continuité d’activité » serait plus pertinent que celui de la « santé, sécurité et bien-être », car plus global, adressant toute l’organisation. Il permettrait de rendre compte de tout ce qui a été fait afin de préserver la santé des collaborateurs comme celle de toute l’entreprise et au-delà, pour préserver sa chaine de création de valeur.
On peut donc s’attendre à des révisions des analyses de matérialité et/ou des analyses de risques, avec l’obligation d’accorder une attention particulière à la robustesse des approches méthodologiques. Les modes d’évaluation utilisés et les parties prenantes interrogées devraient ainsi évoluer.
Cette pandémie sonne comme un cruel avertissement. Certains prophétisent sur la future pandémie, de nature numérique, qui bloquerait le monde entier avec des répercussions en cascades et des impacts qu’il est difficile d’appréhender. D’autres avertissent sur la possibilité de nouvelles crises sanitaires, tant nous avons maltraité la biodiversité.
Et le changement climatique dans tout ça ? On fêtait cette année les 50 ans du Earth Day. Son initiateur, Gaylord Nelson, sénateur du Wisconsin, disait que le développement économique ne pouvait passer au-dessus de la protection environnementale. Quel visionnaire ! Un scénario à plus de 2 degrés est un catalyseur de risques majeurs pour notre monde. Le temps ne serait-il pas enfin venu de s’attaquer au changement climatique ?
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