Au cours des dernières années, la responsabilité de certaines entreprises a été engagée dans de nombreuses catastrophes écologiques. Le 10 Juin 2014, une enquête publiée par le Guardian, dévoilait que le numéro un de la crevette, le géant thaïlandais Charoen Pokphand (CP), s’approvisionnait en poissons pour l’alimentation de ses crevettes auprès de fournisseurs esclavagistes et commercialisait ses produits dans les hypermarchés et supermarchés d’Europe et d’Amérique du Nord. Dans ce contexte, si les exigences réglementaires se font chaque année plus pressantes pour les entreprises, la Responsabilité Sociétale des Entreprises est désormais de plus en plus perçue comme un levier de performance globale ; ce faisant,le reporting extra-financier proactif constitue pour les entreprises une véritable opportunité de disposer d’un outil structurant de pilotage de la performance globale, quand les dispositifs de publication des rapports extra-financiers offrent la possibilité de mieux adresser les parties prenantes des entreprises.
En réaction à l’effondrement du Rana Plaza à Dacca, les députés PS Philippe Nogues et Dominique Potier avaient déposé une proposition de loi sur le devoir de vigilance des grandes entreprises françaises vis-à-vis de leurs filiales et de leurs sous-traitants à l’étranger, le 7 novembre dernier. Si ce texte était adopté, il créerait une responsabilité civile et pénale pour les maisons mères établies en France. Cette proposition de loi s’inscrit dans les pas de la loi Grenelle 2 et son article 225, que nous avons déjà commenté dans nos colonnes, consacré au reporting extra-financier des entreprises et qui concernera sur l’exercice 2014 toutes les entreprises en France de plus de 500 salariés (statut SA ou SCA) et réalisant plus de 100 millions de chiffre d’affaires ainsi que l’ensemble des entreprises cotées.
Pour rappel, les entreprises travaillant à l’international, au premier rang desquelles les multinationales, sont confrontées à un cadrage réglementaire de leur Responsabilité Sociétale avec les Principes directeurs de l’OCDE, les conventions de l’OIT, les principes sur les droits de l’homme adoptés en 2011 par l’ONU… Au final, ces textes invitent les entreprises à un devoir de vigilance sur leur sphère d’influence. On rappellera ici, que de nombreux pays comme le Royaume Uni, la Belgique ou encore les États-Unis et le Canada se sont dotés de dispositions législatives en la matière.
Plus de complexité et moins de compétitivité ?
Ce projet de loi, rappelé le 12 juin dernier par le député Dominique Potier, interviewé sur Europe 1, risque de rencontrer une forte opposition des représentants des entreprises. Encore une nouvelle loi, encore une entrave et pour quel résultat si ce n’est plus de complexité et moins de compétitivité !? Philippe Noguès interrogé par Novethic expliquait « Le moins-disant généralisé paralyse notre économie car elle conduit à des risques extra-financiers de plus en plus importants. Il faut savoir que les trois quarts des crises qu’ont affrontées les entreprises ces dernières années sont dues à ce type de risques ! A partir du moment où les entreprises seront jugées en France pour des actes commis à l’étranger, elles seront obligées d’évaluer ces risques pour mieux les prévenir. Elles se rendront compte que ces mesures préventives les rendront plus compétitives ».
Dans cette veine, rappelons que la directive européenne, votée le 15 avril dernier sur la transparence extra-financière des entreprises cotées en Europe (6000 entreprises environ), s’inscrit dans une logique de lutte contre le dumping social, ce qui nous renvoie à la montée en puissance des achats responsables dans les entreprises et notamment des grandes entreprises, qui de plus en plus exigent de leurs fournisseurs une meilleure prise en compte des enjeux du développement durable.
Vers une performance globale pilotée par le reporting extra-financier proactif
Dans ce contexte, on attend de plus en plus des entreprises qu’elles assument leur responsabilité vis-à-vis des impacts de leurs décisions et de leurs activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement transparent et éthique qui contribue au développement durable et prend en compte les attentes des parties prenantes, qui respecte les lois en vigueur et est en accord avec les normes internationales de comportement et qui est intégré dans l’ensemble de l’organisation (Définition de la Responsabilité Sociétale selon l’ISO 26000).
Cette exigence d’éthique et de transparence est appuyée par une forte évolution réglementaire. En France avec la publication du décret d’application de l’article 225 de la loi Grenelle 2 en avril 2012 ; en Europe, le 15 avril 2014 avec le vote de la directive européenne sur la transparence des entreprises en matière sociale et environnementale.
Aujourd’hui, cette montée en puissance du reporting extra-financier proactif se trouve par ailleurs renforcée par les attentes de plus en plus pressantes des investisseurs qui veulent mieux comprendre l’entreprise d’hier, d’aujourd’hui et surtout…de demain.
Pour cela, les investisseurs veulent un reporting extra-financier :
- pertinent, avec des indicateurs qui soient définis en fonction des enjeux spécifiques des entreprises ; la pertinence constituant par ailleurs le socle fondateur de la GRI G4 (référentiel international de reporting)
- fiable, et s’appuyant donc sur des référentiels et des systèmes d’information garantissant la qualité, la crédibilité et la comparabilité des informations quantitatives et qualitatives publiées et permettant par ailleurs de juger de la maitrise des risques,
- et depuis quelques mois, intégré (reporting intégré) , dans lequel informations financières et extra-financières sont corrélées pour permettre aux dirigeants et parties prenantes de disposer d’une vision plus globale de la performance de l’entreprise (capital matériel et immatériel).
Finalement, l’enjeu pour les entreprises et leurs dirigeants est de disposer désormais d’une véritable métrique permettant de démontrer la performance globale de leur entreprise et sa création de valeur partagée, pour citer la théorie récemment développée par Michael Porter, qui semble désormais supplanter celle de Milton Friedman pour qui la seule responsabilité de l’entreprise est de maximiser le profit.
Un reporting extra-financier proactif qui répond à ce besoin de disposer d’une métrique pertinente et fiable, facteur de mise en perspective des données financières et extra-financières, et souvent gérée en interne par une solution logicielle et conseil. Cette nouvelle dimension du reporting RSE va donc bien au-delà de la seule conformité réglementaire. Il constitue le socle sur lequel construire une communication qui permettra à l’entreprise d’adresser ses parties prenantes en fonction de leurs attentes, de leurs centres d’intérêt, ce qui suppose de disposer d’une architecture multimodale de communication (contenants et contenus) afin de répondre aux exigences des experts comme aux demandes plus basiques de certains acteurs gravitant autour de l’entreprise.
Le site CDurable .Info relatait dans ces colonnes, le 16 juin dernier, les temps forts de la conférence organisée par le C3D (Collège des Directeurs du Développement Durable). Nous reproduisons ci-dessous les recommandations rédigées par le C3D à l’attention des pouvoirs publics, présentées par sa présidente, Hélène Valade (Directrice du Développement Durable de Lyonnaise des Eaux).
- « Encourager l’ancrage du reporting RSE au niveau du management, au service d’une vision stratégique des entreprises, y compris les PME, ce qui nécessite de s’interroger sur la « matérialité » et de repenser les enjeux stratégiques de l’entreprise. Cela passe par des pratiques de reporting pérennes, une réglementation stable, des démarches RSE adaptées aux PME-PMI et le développement à terme du « reporting intégré ».
- « Encourager l’intégration des évolutions internationales en matière de reporting, notamment à travers la future Directive européenne, et faciliter une « convergence » des référentiels/méthodologies existants.
- « Soutenir une souplesse d’exécution du reporting RSE et favoriser son adaptabilité aux particularités du secteur et de la taille de l’entreprise.
- « Promouvoir les démarches de type RSO (Responsabilité Sociétale de l’Organisation) et mettre l’ensemble des acteurs dans une même dynamique de progrès. »
Ces recommandations remises à la plateforme nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est un bon signal pour l’évolution de la Responsabilité Sociétale et du reporting extra financier en les positionnant au cœur de la stratégie des entreprises.
Le groupe 2 de la plateforme RSE a proposé le 24 juin de transposer le contenu de la directive européenne dans notre droit afin d’aménager l’article 225 de la loi Grenelle 2 pour en faciliter la mise en œuvre. Bonnes vacances et bonne rentrée, avec en perspective, la préparation du reporting RSE de l’exercice prochain…