Application du Règlement Disclosure, entrée en vigueur de la Taxonomie verte et réflexions sur l’évolution de la réglementation européenne sur la publication des informations extra-financières (NFRD), sont autant de preuves tangibles que l’Europe entend conserver son leadership face à la pression hégémonique de l’alliance anglo-saxonne en faveur de l’homogénéisation du reporting extra-financier. Tant mieux ! La Task Force de l’EFRAG vient de présenter ses travaux pour l’évolution de la NFRD. Vers quelles directions nous embarque le futur standard européen de reporting extra-financier ?
Un standard européen de reporting extra-financier construit avec les parties prenantes
La Commission Européenne a missionné l’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) pour émettre des propositions quant à l’évolution de la réglementation européenne sur la publication des information extra-financières (NRFD). La Task Force dédiée a organisé 7 webinars au cours du mois de janvier, afin de soumettre aux parties prenantes européennes le fruit de ses travaux, réunis dans le rapport «Outreach Meeting European standard-setting (ESS)». Au menu de ces webinars, présentation des fondations, des lignes directrices opérationnelles, de l’architecture, de la structure de reporting et des priorités de l’ESS.
Le webinar français s’est déroulé le 21 janvier dernier ; il a été introduit par la secrétaire d’État chargée de l’Economie sociale, solidaire et responsable, Olivia Grégoire, qui a soutenu la nécessité de faire évoluer la directive européenne qui a donné naissance à notre DPEF et de tendre vers une normalisation. Elle a souligné que «La transposition de la dernière directive européenne sur le reporting extra-financier n’a pas permis d’assurer la comparabilité, la fiabilité et l’intelligibilité des données extra-financières». De nombreuses entreprises, ONG, l’AMF, organisations patronales et cabinets de conseil participaient à cette réunion on-line.
Les fondations de la prochaine normalisation européenne
Voici les points qui ont particulièrement retenu notre attention quant aux fondations du futur standard européen de reporting extra-financier.
- Fiabilité, comparabilité et transparence des données
La prise en compte du rôle essentiel des acteurs financiers dans la construction du Green Deal Européen, doit conduire les entreprises à garantir la disponibilité et l’accès aux données nécessaires à leurs exigences en matière de divulgation.
- Élargissement de la réglementation aux PME de plus de 250 salariés
L’inclusion des PME, de manière proportionnée, fait partie des recommandations de la Task force ; la RSE n’est bien évidemment pas l’apanage des grandes entreprises. Les parties prenantes présentes au webinar se sont montrées favorables à l’intégration des PME au-dessus de 250 salariés. La secrétaire générale adjointe de la CPME, Sandrine Bourgogne a appuyé cet élargissement, en plaidant pour une application proportionnée, avec un nombre d’indicateurs par pilier limité et équilibré.
Les lignes directrices opérationnelles du futur standard européen de reporting extra-financier
L’une des lignes directrices opérationnelles est la prise en compte de l’horizon temporel, à savoir les aspects rétrospectifs et prospectifs de l’information (ce qui implique de fixer des objectifs, d’allouer des ressources, d’établir des feuilles de route, de simulation de résultats, éventuellement dans le cadre de différents scénarii) compte parmi les recommandations de la Task Force. Cette proposition n’a pas fait l’objet d’un consensus. Une opposition qui nous interpelle. En effet, la fixation des objectifs intermédiaires, notamment sur les sujets matériels, nous apparait comme étant le corollaire de la mesure de la performance comme des impacts. Qu’en a-t-il été des pour les 6 autres webinars organisés ?
La seconde concerne la double matérialité, nouveau socle de la gestion des risques. Dans le cadre de la consultation menée par l’IFRS, on a pu relever de nombreuses prises de position en faveur de la double matérialité présentée comme prérequis indispensable à l’homogénéisation du reporting extra-financier (ESMA, DWS…).
Il s’agirait désormais d’identifier les risques que l’environnement fait peser sur l’entreprise, mais aussi les impacts de cette dernière sur son écosystème, ses parties prenantes, ainsi que sur la planète. La prise en compte de la double matérialité nous semble essentielle pour un reporting qui fasse sens, tant pour l’entreprise que pour les investisseurs et bien sûr, pour l’ensemble des parties prenantes. Un point de vue partagé massivement par les participants au webinar. Point important, il ressort de la présentation de la Task Force que l’on s’orienterait à minima vers davantage de guidance pour la méthodologie à appliquer, voire un cadre normatif.
Project Task Force Non-financial reporting standards, Outreach meeting European standard-setting (ESS), EFRAG
L’architecture du futur standard européen de reporting extra-financier
Deux options se dessinent :
- Un reporting à 3 étages. Un niveau commun à toutes les entreprises, dit agnostique ou encore général, une couche sectorielle et enfin une tranche spécifique à l’entreprise en fonction de l’analyse de double matérialité établie. Cette proposition, si elle était retenue in fine, faciliterait grandement la comparabilité recherchée.
- 3 ou 4 thématiques seraient à prendre en compte :
- Soit : environnement, social et général (incluant la gouvernance),
- Soit : environnement, capital humain, organisation (incluant la gouvernance) et relations
Les retours des participants aux 7 webinars devraient donc permettre de choisir entre ces deux options. La deuxième serait à notre sens plus pertinente, elle éviterait un chapitre général « fourre-tout ».
Quelle structure ?
Project Task Force Non-financial reporting standards, Outreach meeting European standard-setting (ESS), EFRAG
L’interconnexion entre information financière et information extra-financière est un sujet clé de l’évolution de la NFRD. Une interconnexion qui n’est pas sans rappeler celle qui a donné lieu au reporting intégré. Patrick de Cambourg qui préside la Task Force a fort bien illustré cette nécessaire interconnexion : “L’entreprise, dont le cerveau est la gouvernance, doit marcher sur deux jambes, financière et extra financière. Il est grand temps de donner autant d’importance aux deux, pour que l’entreprise ne boite pas.” L’ESS devrait fournir le cadre (méthodologies, processus et points d’ancrage) pour une bonne interconnexion.
Quelles priorités ?
La Task Force se félicite des efforts mis en œuvre au sein de l’UE. Elle estime qu’il est primordial de coopérer avec les principales initiatives internationales afin d’assurer la cohérence et la contribution réciproque entre les initiatives de l’UE et les autres initiatives internationales. Cela favorisera notamment l’instauration de conditions de concurrence mondiales pour les entreprises internationales.
En conclusion
La norme devrait entrer en vigueur en 2023 ou 2024. Ce qui laissera le temps aux entreprises de s’adapter aux nouvelles exigences. A l’heure de l’entrée en vigueur du Règlement Disclosure et de l’application à venir de la Taxonomie Verte, nous assistons à un alignement des planètes propice à la mise en œuvre du Green Deal européen ; et c’est tant mieux car il est urgent de mettre en cohérence le discours et les actes, tant pour les entreprises que pour les acteurs des marchés financiers. Il reste 10 ans pour infléchir la courbe qui nous mène sinistrement au-delà des 2°.
Un dernier souhait, déjà évoqué dans de précédents articles, il serait pertinent que la normalisation du standard européen de reporting extra-financier…remplace la préjudiciable expression « extra-financier ». Nous y préférons l’expression « co-financier ». Dans un récent post, Richard Howitt qui présidait l’IIRC écrivait « I predict that Europe will move from ‘non-financial’ to ‘sustainability’ reporting for its chosen terminology in the forthcoming reforms.” Si cette prédiction s’avérait juste, resterait à traduire convenablement le mot sustainability…vaste sujet.