Le 13 octobre dernier, la première partie de la COP15 biodiversité s’était achevée sur la déclaration de Kunming, qui fixait dix-sept engagements, parmi lesquels l’intégration de la biodiversité dans toutes les prises de décisions. On trouve clairement un écho à cet engagement dans les prérequis de la future CSRD comme dans le questionnaire CDP 2022.
L’alignement des planètes de la réglementation française et européenne favorable à la prise en compte de la biodiversité dans le reporting ESG
Nous avions abordé dans notre article de décembre « Reporting ESG des entreprises et biodiversité » les évolutions réglementaires concernant le reporting ESG des investisseurs. En France, avec l’article 29 de la loi Énergie Climat de 2019, en Europe, avec la Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR), et avec la Taxonomie où la biodiversité figure au nombre des six objectifs de la Taxonomie verte, sous l’intitulé « La protection et la restauration de la biodiversité et des écosystèmes ».
La double matérialité de la CSRD doit favoriser la prise en compte de la biodiversité dans les reporting ESG des entreprises
Selon une étude publiée en février 2021 par Leaders Arena qui a analysé les rapports sur la biodiversité des 50 plus grandes entreprises américaines et européennes, 69% des entreprises mentionnent la biodiversité dans leur rapport, 52% soutiennent des projets “favorables à la Nature”, 32 % divulguent les activités liées à la biodiversité dans le cadre de leurs activités et 20 % (seulement) tiennent compte de la biodiversité dans leur analyse de matérialité.
Parmi les 7 « working paper » publiés par l’European Financial Reporting Advisory Group (EFRAG) le 3 mars dernier, en figure un dédié à la prise en compte de la biodiversité. En janvier, un document de travail avait été publié sur les procédures de mise en œuvre de la double matérialité qui est un des fondamentaux du reporting ESG des entreprises voulu par l’Europe avec la Corporte Sustainability Reporting Directive (CSRD).
En attendant que la double matérialité fasse l’objet d’une normalisation, on peut d’ores et déjà établir que sa prise en compte signifie pour la biodiversité que les entreprises devront, (probablement avec un décalage d’une année), évaluer :
- La manière dont les enjeux de biodiversité peuvent impacter l’activité de l’entreprise (matérialité financière, celle qui est exigée par l’International Sustainability Standards Board (ISSB)- IFRS Foundation) et qui concernera les entreprises américaines.
- La contribution et l’impact de l’activité de l’entreprise sur la biodiversité (matérialité d’impact)
C’est sur la matérialité d’impact, que devrait se cristalliser une évolution très sensible de la prise en compte de la biodiversité dans le reporting ESG des entreprises de l’ère CSRD. En effet, si l’on devait analyser aujourd’hui, dans le cadre des Déclarations de Performance Extra-Financières (DPEF) ce que les entreprises assujetties disent en matière d’impact ou de contribution à la biodiversité, ne trouverions-nous pas fréquemment la mise en avant d’installations de ruches et des projets de compensation, le plus souvent hors de nos frontières ?
Avec l’analyse de double-matérialité, l’artificialisation de centaines d’hectares de terre pour des entreprises multisites, pourrait désormais être prise en compte comme un enjeu à risque et ne saurait être compensée par la seule installation de quelques ruches. Dans cette veine, les entreprises devraient être amenées à repenser leurs implantations, à renaturer leur foncier et par là même, en favorisant la préservation et le développement de la biodiversité locale, contribuer indirectement à l’amélioration du bien-être de leurs équipes.
Le CDP embarque la biodiversité dans son questionnaire 2022
« Le rôle des organes de gouvernance en lien avec la durabilité » est un des prérequis de la future CRSD, autrement dit, les reporting ESG des entreprises devront montrer comment la gouvernance des entreprises s’implique dans toutes les questions liées à la durabilité. Ce qui fait écho à l’un des engagements de la déclaration de Kunming « L’intégration de la biodiversité dans toutes les prises de décisions ».
Le Carbon Disclosure Project (CDP) a fait sien ce prérequis pour son nouveau questionnaire 2022. Une convergence avec l’évolution de la réglementation européenne qu’il convient de saluer ! Le CDP pose désormais 6 questions liées à la biodiversité :
- (C15.1) Votre organisation dispose-t-elle d’une supervision au niveau du conseil d’administration et/ou d’une responsabilité au niveau de la direction pour les questions liées à la biodiversité ?
- (C15.2) Votre organisation a-t-elle pris un engagement public et/ou soutenu des initiatives liées à la biodiversité ?
- (C15.3) Votre organisation évalue-t-elle l’impact de sa chaîne de valeur sur la biodiversité ?
- (C15.4) Quelles mesures votre organisation a-t-elle prises au cours de l’année de référence pour faire progresser ses engagements en matière de biodiversité ?
- (C15.5) Votre organisation utilise-t-elle des indicateurs de biodiversité pour contrôler la performance de ses activités ?
Ces nouvelles questions ont été élaborées conformément aux lignes directrices de l’UICN sur le reporting des entreprises sur la biodiversité. En l’état actuel du reporting des entreprises assujetties à la DPEF, il semblerait qu’une infime minorité d’entreprises – sous réserve d’un inventaire plus précis – seraient en capacité de cocher toutes les cases.
La plateforme Impact aborde la biodiversité, avec un indicateur qui résonne avec celui qui exigé par la SFDR. Les entreprises sont invitées à répondre à l’indicateur suivant : “Activités ayant un impact négatif sur la biodiversité des zones sensibles”. C’est bien évidemment mieux que rien, mais c’est bien trop peu au regard des enjeux posés par la perte massive de biodiversité. Et c’est moins disant par rapport aux nouvelles questions posées par le CDP.
Pour mémoire, la GRI qui collabore avec l’EFRAG pour le cadrage normatif de la biodiversité dans la future CSRD, aborde cette thématique avec le GRI Standards 304 Biodiversité. Elle permet d’ores et déjà d’aller plus loin que ce qu’invite à reporter la Plateforme Impact. En l’espèce, au-delà des traditionnels éléments d’information liés à l’approche managériale, les entreprises sont invitées à prendre en compte 4 indicateurs :
- 304-1 Sites d’activité détenus, loués ou gérés, situés dans ou bordant des aires protégées et des zones riches en biodiversité à l’extérieur des aires protégées
- 304-2 Impacts significatifs des activités, produits et services sur la biodiversité
- 304-3 Habitats protégés ou restaurés
- 304-4 Espèces sur la liste rouge de l’UICN et sur la liste de conservation nationale dont les habitats sont situés dans des zones affectées par les opérations
En conclusion :
La biodiversité était prise en compte dans l’ISO 26000 de 2010 avec le domaine d’action 4 de la la Question centrale Environnement « Protection de l’environnement, biodiversité et réhabilitation des habitats naturels ». Elle figurait bien dans l’article 225 de la loi Grenelle 2 de 2014. Il s’agissait pour les entreprises de rapporter « Les mesures prises pour préserver ou développer la biodiversité ». Cette exigence s’est le plus souvent traduite par des informations qualitatives, avec à la clé, très peu de métriques publiées.
Cela fait une dizaine d’années que les entreprises ont été invitées à prendre en compte la biodiversité. L’absence de données publiées dans les DPEF et rapports intégrés, ne traduit-elle pas le fait que la biodiversité ne constitue que très rarement un enjeu stratégique soutenu par des engagements opérationnels déployés au travers de plans d’action pilotés au moyen d’indicateurs ?
La nouvelle stratégie européenne en faveur de la biodiversité pour 2030, l’évolution réglementaire du reporting ESG européen et désormais la prise en compte de la biodiversité par le CDP, sont autant d’éléments qui traduisent la prise de conscience des risques que pose l’érosion de la biodiversité sur l’économie mondiale (Selon l’étude de 2020 du Swiss Re Institute, 55% du PIB mondial, soit 41 700 milliards de dollars américains, dépend de la biodiversité et des services écosystémiques).
Comme toujours, il est bon de rappeler que le reporting ESG des entreprises n’est pas une fin en soi. Il doit, en transparence, présenter les informations et données sur les aspects sociaux, environnementaux et de gouvernance qui traduisent la gestion responsable d’une entreprise et sont les garants de sa durabilité. La biodiversité compte deux objectifs parmi les 17 Objectifs de Développement Durable dont deux sont dédiés à la biodiversité (14 – Vie aquatique et 15 – Vie terrestre). La responsabilité avérée de l’activité économique dans la perte massive de biodiversité doit engager les entreprises à montrer comment elles entendent contribuer à ces deux objectifs, d’ici 2030. La future CSRD donnera cette opportunité à 50.000 entreprises en Europe.
Pour agir en faveur de la biodiversité :
- CPME : Biodiversité et PME VF_web_réduit.pdf (ofb.fr)
- EPE : http://www.epe-asso.org/solutions-des-entreprises-pour-la-biodiversite-changer-dechelle-octobre-2020/
- CDC Biodiversité : https://www.cdc-biodiversite.fr/gbs/
- WWF : https://www.wwf.fr/sites/default/files/doc-2019-10/20191023_Guide_Capital-Naturel-Strat%C3%A9gies-Organisations-Outils-min.pdf