Lors du World Forum Lille For A Responsible Economy qui se déroulait du 21 au 24 octobre dernier, Philippe Vasseur, président du World Forum Lille, a rappelé la révolution déjà en marche, à laquelle devront faire face les entreprises axées aujourd’hui sur “un modèle économique qui est à bout de souffle, incapable de répondre, en l’état, aux défis de ce siècle… qu’un nouveau modèle, plus attentif aux personnes, plus soucieux des ressources, plus équitable et plus responsable” était une nécessité. Une nécessité, déjà mis en marche dans de nombreuses entreprises. A l’occasion de ce forum, une conférence a bien évidemment attiré notre attention : “Utiliser le reporting RSE comme outil de pilotage“.
Autour de la table, quatre entreprises (TF1, Givaudan, Corio et Beraca) étaient venues partager leur expérience du reporting RSE, et leur manière de l’utiliser pour faire évoluer leur business model au regard des nouvelles attentes et nouveaux besoins du XXIè siècle.
La conférence a débuté par une citation de Peter Drucker : “Ce que vous mesurez, vous pouvez le piloter. Ce que vous ne pilotez pas, vous ne pouvez pas le changer.” De nombreuses entreprises ont fait le pari du reporting RSE, non pas pour se conformer à une contrainte réglementaire, et notamment en France à l’article 225 du Grenelle 2, mais plutôt dans une optique d’évolution de leurs pratiques et de leur manière de faire du business.
Comment se passer d’un test de matérialité si l’on veut investir intelligemment dans l’avenir?
“Il est clair que les entreprises ne sont pas au bout de leur surprise”, déclarait Mme Lara Muller, directrice RSE du Groupe Corio, société foncière spécialiste de l’immobilier commercial. Pour anticiper cette “surprise”, il faut bien évidemment réfléchir à la manière dont l’entreprise doit engager sa transition, c’est-à-dire intégrer dans son business modèle les enjeux de la RSE. Dans cette veine, les quatre entreprises s’accordent à dire que l’étape clé pour y arriver passe par la réalisation d’un test de pertinence (test de matérialité). “En revanche, arrêtons de croire que l’exercice est facile” continue Lara Muller : il demande d’abord une importante réflexion en interne pour balayer tous les impacts que peut avoir l’entreprise sur son Environnement, sur ses salariés, sur les communautés au sein desquelles elle est implantée… Mais l’auto diagnostic des enjeux RSE par l’entreprise a fait son temps… C’est avec l’aide des parties prenantes que le travail est vraiment efficace. Sinon comment être sûr que les enjeux identifiés sont les bons et donc que les actions mises en œuvre seront efficaces pour améliorer la performance de l’entreprise ?
Lara Muller partage avec l’audience l’expérience de Corio, à l’époque où le Groupe a défini sa stratégie RSE : “Nous voulions travailler avec les personnes qui font que notre business existe et surtout sur lesquelles nous avions un impact significatif”. Après avoir consulté un panel de parties prenantes, Corio s’est accordé avec elles pour orienter sa stratégie RSE et plus globalement sa stratégie d’entreprise dans une logique de création de valeur partagée qui passent par 4 engagements forts : faire passer le consommateur en priorité, s’ancrer au sein des communautés, mener nos activités de manière responsable, et créer des centres plus durables.
“Nous créons des espaces d’achat au sein des centres commerciaux et nous voulons que nos clients, entrepreneurs confirmés ou débutants, et les communautés locales dans lesquelles ils s’implantent se sentent écoutés. Nous avons révisé nos offres de bail, nous avons mené des études sur les difficultés rencontrées par les communautés pour faire en sorte de les résorber et donc de gonfler intelligemment notre porte feuille de clients ; bref nous adaptons et pérennisons notre entreprise parce que nous sommes à l’écoute du monde qui change.”
Réflexions sur les KPIs pertinents au World Forum Lille
Un des participants a interpellé les quatre directeurs RSE sur le fait qu’aujourd’hui bon nombre d’entreprises, en ces temps de crise, rechignent à financer la mise en œuvre des démarches RSE, faute de moyens financiers.
Michael Blais, directeur RSE de Givaudan, leader mondial du secteur de la parfumerie et des arômes a estimé qu’”Il fallait pouvoir faire valoir le fruit de la performance RSE au travers d’indicateurs clés de performance.” Ces indicateurs doivent permettre en un coup d’œil à votre direction, mais aussi à toutes les autres parties prenantes qui s’intéressent à votre performance, de démontrer l’efficacité de la démarche RSE en place. Ainsi, l’un des impacts les plus significatifs reconnus par Givaudan et ses parties prenantes est le travail des enfants, associé à la thématique des Droits de l’Homme.
“Cet impact est essentiellement lié à notre chaîne d’approvisionnement. C’est bien dans une logique de sécurisation de nos approvisionnements en matières premières naturelles, et pour préserver l’image et la notoriété de nos clients (marché BtoC) que j’ai souhaité engager notre entreprise à des pratiques d’approvisionnement responsables”.
En 3 ans, déjà 248 de nos 400 plus gros fournisseurs ont rejoint la plateforme Sedex, une plateforme collaborative pour l’échange des données à caractère éthique sur la chaîne d’approvisionnement. Elle a deux objectifs : alléger la charge administrative des fournisseurs qui doivent subir de nombreux audits, remplir des questionnaires et fournir des certifications, et améliorer les performances des chaînes d’approvisionnement globales en matière d’éthique. “La direction voit réellement la différence : nous maîtrisons cette partie de la chaîne de valeur grâce notamment au respect des principes du commerce équitable et en plus, nous gagnons la confiance de nos clients, qui sont libres d’afficher fièrement leurs marques sans craindre d’apparaître dans les faits divers pour avoir enfreint le respect des Droits de l’Homme.” L’objectif de Givaudan pour 2015 est de passer la barre des 200 audits sur le périmètre des 400 plus gros fournisseurs de l’entreprise. A exercice 2013, le Groupe affiche déjà une centaine d’audits réalisés, de quoi espérer un challenge réussi.
Lara Muller a par ailleurs évoqué la difficulté aujourd’hui de pouvoir financiariser les résultantes de la démarche RSE, surtout lorsque le sujet est intangible. Ces propos rejoignent d’ailleurs les chiffres remontés des directions RSE au regard de l’étude que Tennaxia vient de mener sur les bonnes pratiques de reporting RSE: seulement 17%, soit 8 des 48 entreprises interrogées, mesurent et se fixent un objectif de ROI financier.
Toutefois en étudiant quelques volets de leur démarche lors de la conférence, on constate très vite que l’entreprise a développé sa propre grille de lecture face aux engagements qu’elle doit tenir. A titre d’exemple, un indicateur a été mis en place pour mesurer le nombre d’emplois créés en comparaison au taux de chômage de la région d’implantation, un indicateur qui démontre l’impact socio-économique d’un centre commercial et sa capacité à créer de la valeur partagé. “Nous avons travaillé avec des agences spécialisées dans l’emploi, nous avons organisé des évènements au sein de nos magasins pour favoriser la rencontre entre nos consommateurs, potentiellement candidats à un poste, et leurs futurs employeurs, nos clients locataires”.
En conclusion
Les échanges tenus lors du World Forum Lille ont montrés qu’il est important de retenir les nombreuses opportunités générées par le reporting RSE, de part les informations qu’il permet d’analyser et de piloter. Certes, des étapes indispensables sont à intégrer à la bonne définition d’une démarche et à sa mise en cohérence avec la stratégie d’entreprise. Le deal est simple mais nécessite une participation de tous les acteurs, à commencer par la direction d’entreprise : identifier les vrais impacts de l’activité, les mesurer à l’aide d’indicateur clé de performance, lisibles par les parties prenantes et démontrer ainsi l’esprit d’innovation et l’adaptabilité aux nouveaux défis que l’entreprise devra relever.