La pandémie ne freine pas l’actualité du reporting extra-financier. Bien au contraire, comme on peut le constater depuis le début de l’année, avec une accélération depuis la rentrée. Plus récemment, au mois de novembre, la convergence du reporting RSE et l’essor de l’ESG ont rythmé les nombreuses publications de la Finance Durable. La complémentarité du financier et de l’extra-financier s’est matérialisée par la création de la « Value Reporting Foundation », quand Les Echos Investir titraient « Les critères extra-financiers ont un vrai impact financier ». Allons-nous tendre vers une homogénéisation du reporting extra-financier ?
Grandes manœuvres pour une homogénéisation du reporting extra-financier
Depuis janvier, la convergence du reporting RSE a fait l’objet d’une abondante littérature. En cette fin d’année, livrons-nous à un récapitulatif des faits les plus saillants.
La Commission européenne, à partir d’une étude d’impact auprès des parties prenantes, avait annoncé le 30 janvier 2020 son intention de réviser les règles de reporting extra-financier. Le constat dressé était sans appel. Les informations extra-financières publiées par les entreprises étaient jugées comme insuffisamment comparables, ni suffisamment fiables, et manquant de transparence. Une situation incompatible avec l’objectif assigné aux rapports RSE, permettre aux parties prenantes et aux investisseurs d’évaluer la durabilité des entreprises et par là même de leurs investissements, par la compréhension des impacts de l’entreprise sur la société et l’environnement et des impacts de la société et de l’environnement sur l’entreprise.
Par ailleurs, l’accès aux données extra-financières apparaissait peu aisé compte-tenu de la multiplicité des documents utilisés par les entreprises. En résultait une disparité des données et des supports qui n’est pas de nature à répondre à la demande croissante d’informations émanant des agences de notation extra-financières. On pouvait aussi ajouter à cela que la future taxonomie verte européenne induisait de procéder à des ajustements, afin de faciliter l’homogénéisation du reporting extra-financier avec ses exigences.
Dans la foulée, la Commission Européenne avait lancé fin février une consultation afin d’évaluer auprès des parties prenantes plusieurs orientations stratégiques possibles. Soit s’inscrire dans la voie de lignes directrices non contraignantes comme actuellement, moyennant quelques ajustements et nouvelles orientations. S’engager dans la voie de l’harmonisation via l’adoption d’un standard existant ou à créer, lequel pourrait rester facultatif pour les entreprises. Enfin, réviser ou renforcer les exigences de la directive extra-financière existante, notamment élargir le périmètre des entreprises soumises à l’obligation de reporting.
Depuis, les grandes manœuvres ont commencé à la rentrée, tant en Europe qu’aux Etats-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni. Les Big Four, en collaboration avec le World Economic Forum, ont publié un livre blanc très intéressant « Measuring Stakeholder CapitalismTowards Common Metrics and Consistent Reporting of Sustainable Value Creation ». Pendant ce temps les principaux standards internationaux de reporting se sont ligués pour travailler ensemble (CDP, CDSB, GRI, IIRC et SASB) derrière l’IFRS dans une lettre ouverte adressée à l’International Organization of Securities Commissions (IOSCO), qui en retour à réitérer que l’IOSCO était prête à appuyer leurs travaux de préférence menés conjointement.
Après avoir salué en septembre l’initiative des 5 référentiels internationaux à travailler ensemble à un système mondial complet de reporting d’entreprise, BlackRock a plaidé en faveur d’une convergence des différents cadres et normes de reporting du secteur privé afin d’établir une approche mondialement reconnue et adoptée en matière de reporting sur le développement durable. Considérant que l’approche proposée par l’IFRS Foundation est la plus pratique et la plus susceptible de réussir.
Dernier événement en date du 25 novembre, nous avons assisté à la création de Value Reporting Foundation, fruit de la fusion de l’américain Sustainability Accounting Standards Board (SASB) et du britannique International Integrated Reporting Council (IIRC). Fusion qui prendra effet en mai prochain. Il s’agit incontestablement d’une étape de consolidation majeure en faveur de l’harmonisation des reporting financier et extra-financier (voir préconisée par le rapport intégré), centrée sur la création de valeur. L’intention est claire. Donner aux entreprises et aux investisseurs un cadre à portée internationale, qui leur permette de communiquer avec clarté et facilité sur les enjeux ESG et sur les leviers de création de valeur. Janine Guillot, PDG de SASB et qui dirigera Value Reporting Foundation a déclaré “Nous sommes prêts à nous engager dans les efforts de la Fondation IFRS, de l’OICV, de l’EFRAG et d’autres organisations qui travaillent à l’alignement mondial sur un système de reporting d’entreprise”. L’EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), mandaté par la commission européenne pour faire des propositions visant à réviser notre réglementation européenne sur le reporting extra-financier.
Homogénéisation du reporting extra-financier, quelle marge de manœuvre pour l’Europe ?
La task-force de l’EFRAG, pilotée par Patrick de Cambourg, par ailleurs président de l’Autorité des normes comptables qui, on s’en souvient, avait remis Le 21 juin 2019 à Bruno Le Maire son rapport sur l’information extra-financière, doit remettre ses conclusions en janvier prochain. Bien sûr l’Europe a la légitimité de l’antériorité en matière de pratiques de reporting RSE, en termes de réglementation. Mais l’Europe des technocrates saura-t-elle éviter la construction d’une « usine à gaz » face au pragmatisme anglo-saxon ? Pourra-t-elle imposer son modèle face à la considérable influence des sponsors précédemment cités ? On a pu lire un certain nombre d’articles où les rédacteurs regrettaient amèrement la prise de leadership des américains sur les agences de notation extra-financières nées en Europe. Le rachat au cours du mois de novembre de l’américain ISS par Deutsche Börse annonce-t-il un revirement ? ISS avait fait l’acquisition en 2018 de l’agence d’évaluation extra-financière allemande Oekom Research.
Ne serait-il pas opportun de travailler à l’émergence d’une grande agence de notation extra-financière européenne, puissante et incontournable, qui évaluerait les performances ESG des entreprises européennes en fonction de notre future réglementation ? Mais peut-on envisager demain une homogénéisation du reporting extra-financier spécifiquement européenne face au reste du monde ?
En attendant de voir le dénouement de cette lutte pour le leadership du reporting extra-financier, deux bonnes pratiques récentes ont particulièrement attiré notre attention. L’usage des Objectifs de Développement Durable (ODD) dans l’ESG. En 2015, une majorité d’entreprises ont utilisé dans un premier temps les ODD comme un énième standard de concordance des pratiques RSE, dans une approche « tick the box ». De nombreuses entreprises cochaient les 17 ODD. Dans un deuxième temps, on a vu des entreprises évaluer les ODD auxquels ils pouvaient réellement contribuer, avec une meilleure prise en considération de leurs impacts. Cette nouvelle grille de lecture a amené ces entreprises à réduire le nombre d’ODD qui correspondaient réellement à leur politique RSE, à leurs valeurs, à leur modèle, à leur raison d’être.
L’émergence de la prise en compte de l’impact corrélée aux ODD
Dans cette logique, on a vu fin octobre le lancement du premier fonds basé sur l’analyse d’impact. Ainsi, VEGA Investment Managers et impak Finance annonçaient le lancement du premier fonds basé sur l’analyse d’impact, tel que pratiquée par impakFinance, première agence européenne de notation extra financière d’impact. “L’impact du fonds est transparent, mesurable, comparable, et il se base sur des standards internationaux : les 17 ODD de l’ONU ainsi que l’Impact Management Project”.
La semaine passée, la Bank J. Safra Sarasin Ltd déclarait intégrer systématiquement les ODD dans leur décision d’investissement. Et de préciser que cette prise en considération des ODD avait contribué à améliorer leur processus d’investissement durable. Il s’agit pour eux de mesurer la contribution aux ODD des entreprises de leur portefeuille.
Ces deux exemples s’inscrivent dans les pas de l’investissement d’impact. L’analyse d’impact oriente de facto les entreprises vers la création de solutions durables, mais aussi vers des rendements et des externalités positives, ce qui est finalement la raison d’être de l’investissement d’impact.
Aujourd’hui dans les Déclarations de Performance Extra-Financière (DPEF), comme dans la majorité des rapports RSE européens, les sociétés communiquent sur des données qui tendent à traduire leur impact positif. Elles sont nettement moins prolixes sur leur impact négatif. Alors que la Commission Européenne vise à produire une future réglementation qui favorise la comparabilité des données, une meilleure prise en compte de l’impact pourrait constituer un levier de l’homogénéisation du reporting extra-financier.
A cet effet, l’Impact Management Project, outil standardisé et consensuel de la mesure d’impact, pourrait constituer par exemple une bonne source d’inspiration. La performance extra-financière des entreprises pourrait être orientée dans la voie de l’entreprise contributive, dans la voie de la présentation des impacts sociaux et environnementaux net positifs, en prenant en compte les Objectifs de Développement Durable.
Le supposé manque de transparence des rapports extra-financiers des entreprises a un pendant, l’opacité de certaines évaluations extra-financières. L’homogénéisation du reporting extra-financier doit bien sûr viser à lutter efficacement contre le « greenwashing ». Mais elle doit aussi proposer une méthode consensuelle, transparente et rigoureuse des évaluations ESG des entreprises. Entreprises, parties prenantes et investisseurs ont tout à y gagner.
A suivre !