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La gouvernance de la durabilité, enjeu majeur de la CSRD

Changement de paradigme du reporting, nouveau challenge pour les ETI, défi de la double matérialité, intérêt croissant des DAF pour le pilotage des données ESG, disponibilité et fiabilité des données… la directive CSRD fait couler beaucoup d’encre depuis quelques mois. Plus les semaines passent, plus la dimension de la gouvernance de la durabilité semble constituer un enjeu majeur pour la future mise en œuvre de la directive.

 

CSRD et double matérialité
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A la lecture des projets de normes publiés en novembre dernier (drafts des European Sustainability Reporting Standards : ESRS 1 “General requirements”, ESRS 2 “General disclosure” et ESRS G1 “Business conduct”) on constate l’omniprésence de la gouvernance et l’importance des exigences en la matière. Et c’est finalement bien logique, dans la mesure où la CSRD a vocation à être le bras armé de la transition écologique voulue par l’Union Européenne, les rapports de durabilité mode CSRD devront prouver l’implication de la gouvernance dans la contribution de leur entreprise à cette transition, et donc dans la transformation de leur entreprise vers un modèle durable.

 

La CSRD souligne la nécessaire implication de la gouvernance

Comme nous l’avions commenté dans l’article « CSRD : où en sont les entreprises françaises en matière de gouvernance de l’ESG ? » la CSRD exigera trois domaines de reporting, qui convoquent en quelque sorte l’implication de la gouvernance dans la mise en œuvre des transitions énergétique, écologique et sociale.

  • La stratégie : la stratégie et le modèle d’affaires, la gouvernanceet l’analyse des principaux impacts, risques et opportunités,
  • La mise en œuvre (les politiques, les objectifs, les actions et les ressources allouées),
  • La performance (les indicateurs notamment de suivi de l’atteinte des objectifs).

L’objectif pour les entreprises sera de faire comprendre les processus de gouvernance, les contrôles et les procédures mis en place pour suivre et piloter les questions de développement durable. Encore une fois, nous ne serons plus dans l’habituel reporting rétroviseur, construit sur de la donnée réglementaire, annuelle, statique, sans engagement, sans trajectoire, sans objectif.

La CSRD se traduira par la publication d’un rapport de durabilité, certes, mais il s’agira surtout de rendre public un rapport de transformation du modèle de l’entreprise et de son pilotage. Ce qui induit de prouver la réelle implication des organes de gouvernance.

 

La première exigence d’information

Requiert que les informations à fournir au titre de la gouvernance concernent le rôle des organes d’administration, de direction et de surveillance en matière de durabilité, ainsi que leur compétence ou expertise en ce domaine, ou l’accès à l’expertise et aux compétences en matière de durabilité.

Au sujet des compétences RSE, selon Ethics & Boards, 24% des conseils du SBF120 faisaient mention dans leur DEU d’une formation climat/RSE en 2021. Malheureusement sans mentionner le nombre d’heures dédiées à cette formation. Mais la donnée concernant le nombre d’heures était-elle disponible dans les DPEF publiées sur l’exercice fiscal 2021 et le sera-t-elle dans les DPEF en cours de publication ?

En février dernier, Novethic titrait «Déjà 220 directeurs d’administration formés aux enjeux environnementaux, prémices d’un basculement» . On y apprenait que ces hauts fonctionnaires de l’État allaient suivre un module de 28 heures sur la transition écologique : La Fresque du Climat2tonnes , conférences et visites de terrain… Une information qui pourrait donner des idées aux entreprises privées afin d’apporter la preuve de la montée en compétence de leurs organes de gouvernance ?

 

La deuxième exigence d’information

Concerne l’information faite aux organes d’administration, de gestion et de surveillance sur les questions relatives au développement durable et comment ces questions ont été traitées au cours de la période de reporting. L’objectif de cette obligation d’information est de permettre aux parties prenantes de comprendre comment les organes d’administration, de gestion et de supervision sont informés des questions de développement durable, ainsi que des informations et des questions qu’ils ont traitées. L’idée est de démontrer que les membres de ces organes ont été correctement informés et qu’ils ont été en mesure de remplir leur rôle.

Selon le Baromètre IFA – Ethics&Board du SBF 120 – Post AG 2022 , 71,7 % des entreprises ont un comité RSE en 2022 (contre 47,5 % en 2019). Une forte progression qui tend à confirmer que les enjeux environnementaux et sociétaux sont pris en compte dans les conseils des entreprises déjà bien rodées à l’exercice du reporting extra-financier, avec 20 ans de pratique pour la plupart d’entre elles.

En revanche, qu’en est-il pour les entreprises non cotées déjà assujetties à la DPEF, et qu’en est-il plus particulièrement pour les ETI qui ne répondaient jusqu’alors à aucune obligation de reporting ?  Selon une enquête de 2021 publiée par le Mouvement des Entreprises de Taille intermédiaire (Meti) 95 % des ETI poursuivent des engagements ESG, quand 2/3 des ETI de moins de 500 salariés ont déjà réalisé un bilan carbone, couvrant les scopes 1, 2 et 3. Des chiffres qui sont finalement très encourageants. Mais l’échantillon était-il représentatif des quelque 5 530 ETI françaises (Source INSEE) ? Quoiqu’il en soit, le Meti estimait que les moyens à allouer à la démarche étaient colossaux.

 

La troisième exigence d’information

Concerne les mécanismes d’incitation liés aux questions de durabilité des membres du conseil d’administration, de surveillance et de direction. Le nouveau Code de gouvernance Afep-Medef place les enjeux de responsabilité sociale et environnementale au cœur des missions du conseil d’administration, notamment en matière climatique.

En ce qui concerne la rémunération liée aux questions de durabilité, la précédente version du Code de gouvernance recommandait déjà que la rémunération des dirigeants mandataires sociaux exécutifs (président-directeur général, directeur général, directeurs généraux délégués, président et membres du directoire, gérant de société en commandite par actions) intègre plusieurs critères liés à la RSE (art. 25.1.1 ancien). La nouvelle version complète le dispositif : « ces critères doivent être définis de manière précise et refléter les enjeux sociaux et économiques les plus importants pour l’entreprise ; les critères quantifiables doivent être privilégiés et au moins un critère doit être en lien avec les objectifs climatiques de l’entreprise (art. 26.1.1 nouveau). »

Il faudra cependant être vigilant afin que les bonus soient alignés sur des objectifs ambitieux, notamment en matière climatique, ils devront être définis dans le respect de l’Accord de Paris pour contenir le réchauffement climatique à 1,5°C.

 

La quatrième exigence d’information

Concerne la déclaration sur la diligence raisonnable en matière de développement durable. L’objectif de cette obligation d’information est de faciliter la compréhension du ou des processus de diligence raisonnable de l’entreprise en ce qui concerne les questions de développement durable.

Cette obligation d’information n’impose pas d’exigences comportementales spécifiques en ce qui concerne les actions de diligence raisonnable en matière de développement durable et ne s’étend pas ou ne modifie pas le rôle des organes d’administration, de gestion et de surveillance prévu par d’autres textes législatifs ou réglementaires.

 

La cinquième exigence d’information

Concerne la gestion des risques et contrôles internes concernant les rapports sur le développement durable.

L’objectif de cette obligation d’information est de permettre de comprendre les processus de gestion des risques et de contrôle interne de l’entreprise en ce qui concerne les rapports sur le développement durable.

La CSRD étend le rôle et les responsabilités du comité d’audit au rapport de durabilité, en particulier sur l’intégrité, le suivi et l’audit. Elle révise ainsi la directive 2014/56/UE (directive sur l’audit). Le comité d’audit devra superviser le processus du rapport de durabilité, l’efficacité des systèmes de contrôle interne et de gestion des risques en matière de rapport de durabilité, le cas échéant, de l’audit interne en la matière.

Nous observons dans les entreprises les plus avancées, souvent celles déjà soumises à la DPEF et à la taxonomie, une nouvelle prise en compte par les DAF et l’audit interne de ces sujets de reporting. Si l’extra-financier n’est plus mais devient la durabilité, englobant au même niveau ce que l’on appelait l’extra-financier et le financier, alors les process de reporting, la gouvernance et la nécessaire fiabilité de la donnée deviennent un enjeu crucial pour la gouvernance. D’où la prise en main par les fonctions habituées au process de reporting et de fiabilisation : les DAF et audit interne.

 

En conclusion, la CSRD marque un tournant dans la mise en œuvre de la RSE au sein des entreprises. Mieux intégrée, plus transversale et partagée, davantage pilotée, la RSE est appelée à devenir un enjeu de gouvernance quand elle n’était cantonnée qu’à une exigence réglementaire et une opportunité de communication. Passer de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) à la durabilité, n’est pas aussi simple qu’il n’y parait. Les entreprises sont appelées à se transformer, à faire évoluer leur modèle d’affaires, à envisager la voie de la triple comptabilité, à se réorganiser, à recruter les talents indispensables à cette transformation sans laisser sur la touche les métiers qui seront victimes de la transformation. La durabilité est bien l’affaire de la gouvernance !

 

Article rédigé par :

Bertrand Desmier

 

 

 

 

 

Crédit photo : AdobeStock_241596237 @Feodora