Nous nous invitions le 15 mars dernier sur les bancs de l’école de droit de Sciences Po pour assister à l’une des conférences organisées dans le cadre du programme RISE (Responsabilité et Innovation Sociale des Entreprises), ouvert depuis 2012 au sein de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Ce laboratoire d’idées engageait une réflexion et des échanges autour du sujet : La RSE à vocation normative, mythe ou réalité ? Pour alimenter ce débat aux côtés de Mme Horatia Muir-Watt, professeure en droit international privé, ont été conviées deux représentantes d’ONG, Sabine Gagnier d’Amnesty International et Geneviève Paul de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, le monde de l’entreprise dont Vivendi s’est fait le porte-parole au travers des propos de Pascale Thumerelle (directrice RSE), et une représentante de l’OCDE, Maylis Souque.
Le respect du droit « dur », une condition essentielle au « License to operate » mais pas que…
La Responsabilité Sociétale d’Entreprise balaye un champ très vaste de sujets, trop vaste d’ailleurs pour qu’ils soient tous couverts par une réglementation stricto sensu, à une échelle qui plus est mondiale. Des cadres réglementaires communs et internationaux existent et tentent de régir les pratiques sociales et environnementales des entreprises. La Responsabilité d’Entreprise, telle que qualifiée par Geneviève Paul (terme selon elle plus représentatif finalement que celui de Responsabilité Sociétale d’Entreprise, encore trop souvent minimisée à une dimension purement philanthropique) engage de nouvelles préoccupations quant à l’évolution stratégique des entreprises. L’ISO 26000 et ses 7 questions centrales l’a bien démontré – on ne se limite plus à rendre compte de son impact économique sur le monde, et c’est en cela que la RSE peut devenir une source de régulation innovante.
La FIDH, tout comme Amnesty International, tiennent un rôle déterminant dans cette nouvelle prise de conscience via leurs actions de plaidoyer de défense des victimes face à l’impunité et l’absence de justiciabilité de certaines entreprises. Elles mettent encore en lumière de nombreux cas de violations des droits de l’homme et se battent pour faire évoluer les législations sur ces questions. Le respect des droits de l’homme et du travail est une préoccupation de plus en plus prégnante au sein des entreprises, et ce notamment suite à la catastrophe survenue au Rhana Plaza en 2013, et aux risques encourus par les sociétés impliquées.
Les multinationales l’ont bien compris, et tentent de s’autoréguler en réponse à ces concepts flous et mal délimités. Certaines n’ont pas attendu l’élaboration d’une loi pour entamer leur réflexion sur la mise en pratique du devoir de vigilance qu’elles ont à avoir vis-à-vis de leurs sous-traitants et fournisseurs. Cet engouement pour le sujet et ces réactions en chaîne au sein des entreprises, posent aujourd’hui la question d’une règlementation. En cette fin Mars, les députés français adoptaient en 2ème lecture la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, preuve que la RSE, et les champs auxquels elle s’applique, engage une évolution naturelle du droit sur les questions qu’elle recouvre. Prochaine étape en Juin 2016 pour une validation par le Sénat.
Illustrations de la RSE à vocation normative au sein des entreprises
Vivendi s’engage chaque jour à protéger la jeunesse dans son usage du numérique, et notamment vis-à-vis des contenus audiovisuels qu’elle est amenée à consulter. Pour illustrer la question de la RSE à vocation normative, Pascale Thumerelle cite l’exemple de Canal+ comme ayant été la première chaîne à proposer une classification des contenus audiovisuels en fonction de l’âge du téléspectateur. C’est bien dans le but de prévenir les publics à risque, et donc dans l’intérêt du grand public, que le groupe a initié cette règle, qui s’est étendue ensuite au monde du jeu vidéo. Suite à cette initiative de droit privé, le CSA a emboîté le pas de la grande entreprise et contraint désormais toute l’industrie de l’audiovisuel et du numérique à répondre à ce devoir de vigilance.
Présent au sein de l’auditoire, Bertrand Bonhomme, Directeur Développement Durable du groupe Michelin, a souhaité apporter un éclairage opérationnel qui prône aussi l’idée d’une RSE à vocation normative. En 2015, le leader du pneumatique fut à l’initiative d’une joint venture en partenariat avec Barito Pacific Group (Indonésie) afin d’engager pour la première fois une production de caoutchouc naturel éco-responsable. En parallèle, le groupe a également décidé de promouvoir ces pratiques responsables avec l’aide du WWF et de limiter l’impact de ces cultures sur les populations et la biodiversité locales. L’association interentreprises, et la coopération de Michelin avec une ONG reconnue, apporte une dimension non négligeable au projet de l’entreprise qui voit son engagement RSE prendre des allures de droit interne.
Même si la loi engage la responsabilité des entreprises sur des sujets nombreux et variés, il faut rappeler que beaucoup de problématiques relevant de la RSE répondent au principe de « soft law ». Qualifié en français de « droit souple », il s’impose naturellement aux entreprises convaincues qu’elles ont un réel intérêt à tenir compte de leurs impacts sur la Société et l’Environnement pour garantir la durabilité de leur business. Mettre en application les principes de la soft law revient à s’appliquer des règles communes et harmonisées au sein de son organisation pour pallier l’inexistence ou le manque de rigueur des législations nationales. Cette pratique peut permettre à l’entreprise de prévenir bon nombre de risques (dans la mesure où elle aura préalablement cartographié ses risques financiers et extra-financiers) et ainsi devenir une véritable opportunité de différenciation sur son marché tout en faisant avancer la législation.