Alors que commission européenne doit publier d’ici le 30 juin prochain l’acte délégué de la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), de nombreuses voix s’élèvent contre le risque de voir sa portée réduite.
Eurodéputés, technocrates, investisseurs, ONG et entreprises s’inquiètent du sort réservé à la CSRD du fait de la forte pression exercée par certains lobbies pour revoir à la baisse son niveau d’exigences, sous couvert de simplification. Ainsi, début février, le CDP avait publié une information selon laquelle plus de soixante entreprises, investisseurs et associations d’entreprises de toute l’Europe appelaient la Commission européenne à ne pas renoncer à son engagement d’établir des normes juridiquement contraignantes en matière d’information sur le développement durable pour les entreprises.
Rappelons-nous que suite à la consultation publique, l’Efrag avait déjà réduit de 40% les obligations d’informations par rapport à la première version et de 50% les points de donnée. Cet effort n’a manifestement pas suffi à calmer l’ardeur des opposants à la publication en l’état des 12 ESRS publiées en novembre dernier. Dans un article publié le 19 avril dernier par Novethic Essentiel), intitulé “Le risque, c’est de réduire les normes et standards uniquement au climat” l’eurodéputé Pascal Durand, rapporteur de la CSRD s’inquiétait d’un risque réel de délitement de la CSRD.
Il y évoquait trois hypothèses : « si la CSRD est considérée comme un nouveau texte, il n’y a pas à y toucher et c’est ailleurs qu’il faut retirer des normes. Autre hypothèse, on retire 25% des normes dans tout le texte, donc on élague en allant moins loin dans la granularité de ces normes. Cette hypothèse, nous arriverions à vivre avec. Enfin, une troisième hypothèse contre laquelle je me bats, consiste à considérer que le climat constitue le gros bloc de normes et que l’on retire tout le reste. Il s’agirait alors d’un acte délégué qui, sous pression des lobbys, réduirait l’ambition initiale de considérer comme un ensemble tous les piliers de l’ESG.”
Lors de sa présentation de la stratégie pour réindustrialiser la France, le 12 mai dernier, le chef de l’Etat a annoncé un ensemble de mesures pour accompagner cette ambition, qui concernent entre autres, la formation, les financements, l’utilisation des friches industrielles. Il a aussi plusieurs fois évoqué la nécessaire lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité. Mais il a aussi appelé à une « pause réglementaire européenne » sur les normes environnementales. Une petite phrase sur 1H37 d’intervention qui a jeté le trouble chez les observateurs qui y ont vu une possible pierre dans le jardin de la CSRD. A l’heure de la publication de cet article, nous n’avons pas d’autre précision sur cette phrase un tantinet sibylline.
CSRD, des raisons d’espérer
L’eurodéputé Pascal Durand a évoqué dans l’interview accordée à Novethic Essentiel que “D’après les réunions du groupe de liaison, la DG Fisma, en charge du texte à la Commission européenne, est sur la même ligne que nous, donc la deuxième hypothèse. “précédemment évoquée, ce qui serait un moindre mal pour faire de la CSRD, d’une part, le levier de contribution des entreprises à la transition écologique et sociale et d’autre part, le levier de leur nécessaire transformation vers un modèle d’affaire durable.
Le 29 avril dernier, a été publié au Journal Officiel un arrêté du 15 mars 2023 portant création par le ministère chargé de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique d’un traitement automatisé de données pour un espace déclaratif à destination des entreprises assujetties à des obligations extra-financières, afin de permettre un traitement automatisé de ces données. Cet arrêté concerne les DPEF et anticipe le projet européen de collecte des données qui figure dans la CSRD avec la plateforme que devrait mettre en place la Commission européenne (European Single Access Point – ESAP).
On constate aussi que de nombreuses entreprises maintiennent le cap sur le changement climatique ou encore la biodiversité, ce qui est parfaitement « CSRD compatible ». Ainsi, dans un article publié par RSEDATANEWS le 8 mai , Céline Coulibre-Duménil, directrice RSE du Groupe Auchan Retail , montrait que la validation des cibles de réduction d’émissions de gaz à effet de serre par l’initiative Science Based Targets n’était finalement pas découplée de la prise en compte de la biodiversité et de la lutte contre la déforestation : “Nous sommes en train de formaliser un engagement au niveau du groupe. Nous menons actuellement une analyse d’impact sur la biodiversité pour lier nos politiques climat et biodiversité. L’engagement commun sur la déforestation ainsi que nos priorités biodiversité devraient être annoncés fin 2023 ou début 2024… ”
L’Europe s’était donnée une ambition et des moyens pour mettre en œuvre le green deal. Cette ambition doit être soutenue par des normes afin d’éviter une contreproductive cacophonie entre chacun des pays européens et chaque entreprise. La CSRD n’a d’autre but que d’améliorer les flux financiers en faveur des activités durables dans l’Union européenne et cela repose sur l’homogénéisation, la cohérence, la transparence et la comparabilité des données et des informations.
On reproche souvent à l’Europe son abondante production de normes. Mais finalement, n’est-il pas surprenant de reprocher à l’Europe ce que l’on accepte d’organisations étrangères ? Ainsi, l’Europe n’a-t-elle pas abandonné sa souveraineté en matière comptable au profit des normes IFRS ? Faudrait-il suivre le même chemin en matière extra-financière, au nom d’un présumé pragmatisme, alors que les crises du climat et de la biodiversité sont avérées, étroitement liées et s’accentuent mutuellement ?
A suivre !
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